Dans la bibliothèque d’Amélie Nothomb Posted in: Blog, Blog littérature

Les classiques ont encore des choses à vous dire

Découvrez la bibliothèque d’Amélie Nothomb à l’occasion de la sortie d’un épisode du BookClub de Konbini. Toujours à la frontière entre drôlerie et tragique, elle alterne l’autofiction et la pure fiction, parfois le fantastique, dans la veine du réalisme magique.

Mêlant l’étude psychologique et morale à la parabole, ses romans se caractérisent par une profondeur alerte, un humour décalé, parfois cruel, qui cultive l’aphorisme, la pointe ironique et le grincement cocasse.

Qui choisirez-vous entre Stendhal, Proust et Rilke ?

À quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari. Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ? C’était une commande, je l’ai acceptée.

C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne. Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour.

Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction oedipienne proférée par son père. De l’autre côté de l’archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s’entremêlent pour devenir le miroir l’une de l’autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d’un murmure envoûtant.

En 1903, Rilke répond à Franz Kappus, un jeune homme de vingt ans, élève d’un prytanée militaire, qui lui a envoyé ses premiers essais poétiques. Neuf autres lettres suivront, que Kappus publiera en 1929, trois ans après la mort de Rilke. Leur retentissement n’a fait que s’accroître depuis. Bien plus, en effet, qu’un entretien sur le métier poétique, elles forment une extraordinaire méditation sur la solitude, la création, l’accomplissement intérieur de notre être.

Rien n’est plus étranger au personnage de Julien Sorel que la sérénité des vainqueurs. Alors que Napoléon, son modèle, est à jamais défait, Sorel est condamné à grandir dans une famille mesquine, à vivre dans une province trop étroite. Le fracas des fusils a laissé place au bruit lancinant de la scierie familiale : soldat privé de bataille, il ne lui reste que le coeur des femmes à faire saigner. Premier de ses amours, dernière de ses victimes : Mme de Rênal, jeune femme mélancolique, tombée amoureuse de Julien, devenu précepteur de ses enfants. Il la retrouvera dans le claquement des pistolets.

Arrivé à Paris il séduit Mathilde de la Mole, jeune et fougueuse aristocrate, non pour sa fortune mais par défi, pour subjuguer la fierté qu’il croit lire dans ses yeux. Pour Sorel c’est là tout l’amour : un combat enraciné dans l’hostilité d’un échange de regards.

Ayant pour origine un fait divers sanglant, Le Rouge et le Noir y puise une singularité tranchante. Loin d’une fresque abstraite, le roman a tout d’un corps rouge du sang qui s’y écoule, noir de la poudre qui y brûle.

Dans cet essai sur l’esthétique japonaise, publié en 1933, l’écrivain défend une esthétique de la pénombre comme réaction à l’esthétique occidentale où tout est éclairé. Il revendique la patine des objets en opposition à la manière lisse de l’Occident.

En se penchant un peu en arrière, il voyait, derrière le dos de Solange, la jeune femme qui était assise à côté d’elle ; adossée dans son fauteuil, elle écoutait, bouche entrouverte et les yeux clos. Elle n’était pas jolie, mais Costals la désirait : 1° parce qu’il trouvait convenable que, dans la même minute où il caressait pour la première fois une jeune personne, il en désirât une autre; 2° parce que, donnant l’apparence du sommeil, il était impossible qu’elle ne levât pas en lui la pensée d’abuser de ce sommeil; 3° parce qu’il lui semblait que, pour éprouver une telle extase d’un phénomène aussi insipide que cette musique, il fallait qu’elle fût détraquée ; or, il n’aimait que les filles saines et simples, comme Solange, c’est pourquoi cela lui était agréable d’avoir envie d’une femme détraquée.

Un livre unique, une somme romanesque, un livre dicté en moins de deux mois et qui est le sommet de l’improvisation, un récit sur Bonaparte, Waterloo, l’Italie, un grand ouvrage politique, que dire encore en faveur de ce qu’Italo Calvino appelait ” le plus beau roman du monde “.

Une comédie humaine, un itinéraire spirituel, plusieurs histoires d’amour enfermées dans une petite ville d’Italie, avec le passage du temps, le charme de la mémoire, les ” paysages sublimes “, le paradoxe d’un héros qui trouve son paradis en prison, toutes les vertus et toutes les lâchetés, il faudrait tout citer. Manqueraient encore la merveilleuse brièveté de la phrase, et le sens de l’humour.

Chuchoté, annoncé, préparé pendant six ans, on attendait comme un chef-d’oeuvre ce roman du désordre amoureux, de la passion et de la mort. Il allait franchir les siècles, dans son intacte perfection. A la cour d’Henri II, Mademoiselle de Chartres rencontre le prince de Clèves et l’épouse. Sitôt mariée, lors d’un bal à la Cour, elle tombe passionnément amoureuse du duc de Nemours.

En dépit de la violence de leurs sentiments, les deux jeunes gens se taisent. Un jour, Madame de Clèves, modèle de vertu, avoue à son mari son amour coupable. Et cet aveu n’arrange rien. Torturé de soupçons et de jalousie, le prince se croit trompé. A la princesse, dorénavant, de conduire son destin…

Le héros de l’unique roman d’Oscar Wilde doit rester éternellement jeune : son portrait seul sera marqué progressivement par le temps, les vices, les crimes, jusqu’au drame final. Dans ce chef-d’œuvre de la fin de siècle (1890), l’auteur a enfermé une parabole des relations entre l’art et la vie, entre l’art et la morale, entre le Bien et le Mal.

Les apparences du conte fantastique, et du roman d’aventures, où le crime même ne manque pas, fascinent le lecteur ébloui par les dialogues étincelants de l’auteur de théâtre, les paradoxes de l’esthète, la phrase du poète. La tragédie vécue par l’écrivain, le bagne, le déshonneur, la mort prématurée laissent ainsi, lisse et pur, son roman unique.

Tendre est la nuit, largement autobiographique, est l’histoire d’un être fait pour être aimé, trop romantique pour pouvoir résister à son époque, trop tendre, malgré son apparente désinvolture, pour savoir sagement vieillir. C’est plus particulièrement l’histoire de l’amour de Dick et de Nicole, dont nous faisons connaissance à travers les yeux émerveillés d’une jeune actrice qui ne résiste pas au charme de Dick. Ce couple très uni cache un secret. Nicole a été soignée par Dicl, médecin psychiatre. L’amour qu’elle a porté à Dick a fait de leur union une nécessité. Un jour viendra pourtant où il devront se séparer… Mais le lecteur aura vécu avec eux les plus belles années d’une vie de loisir rendue magique par la richesse, les voyages.

C’est un extraordinaire témoignage sur la vie d’entre les deux guerres qui nous est offert, un témoignage qui ne va pas sans une douloureuse nostalgie, un livre ensorcelé. Ce roman domine, avec Gatsby le Magnifique, l’œuvre de F. Scott Fitzgerald, l’émouvant représentant de la fameuse ” génération perdue “.

Le cycle romanesque, réuni en un seul volume comme le souhaitait M. Proust lui-même, est publié sans appareil critique. A travers le regard du narrateur et dans un style singulier, les romans offrent à la fois une fresque sociale teintée d’ironie, des observations d’une grande finesse psychologique sur l’amour et une longue métaphore sur la création littéraire et le travail du temps.

Comme tous les héros de Marguerite Yourcenar, Alexis s’interroge pour mieux comprendre le monde et mieux se comprendre lui même. Il cherche à sortir d’une situation fausse qui est l’échec de son mariage. Une longue lettre forme tout le récit où il prend sa femme à témoin du vain combat qu’il a mené contre son penchant naturel et sa vocation véritable.

Par-delà l’anecdote de la fille qui s’offre et du garçon qui se refuse, le sujet central du roman est avant tout une communauté d’espèce, une solidarité du destin chez deux hommes et une femme soumis aux mêmes privations et aux mêmes dangers.

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