Parcours poétique urbain [24 & 25.07 2021] Posted in: Delphica dans la presse
Des doux mots de reclus sur les pavés de nos rues
Ce week-end, onze comédiens proposaient des lectures en ville de lettres d’anonymes confinés. Joyeux et distrayant. Reportage.

On dirait de jolis fruits mûrs. Les deux jeunes comédiennes se sont perchées dans un arbre du Bastion de Saint-Léger. Chemisettes colorées et gouaille majuscule, elles nous parlent de curry aux épinards et de souvenirs du Japon tout en grignotant des gâteaux. Comme quoi on peut parler agréablement la bouche pleine. Devant elles, une grosse soixantaine de personnes, assises à même le sol ou appuyées contre la rambarde, écoutent leur dialogue gourmand le sourire aux lèvres. Nous voilà à la première de «Correspondances» (voir notre édition du 22 juillet) , drôle de performance théâtrale et nomade à onze voix sur la base de lettres anonymes envoyées durant le second confinement.

«Tout est parti de l’idée d’Alex (ndlr: Alexandre Dimitrijevic, animateur culturel à la librairie Delphica) de proposer à des gens confinés des échanges épistolaires anonymes», nous raconte avec animation la comédienne Aurélia Platon, directrice artistique du projet. «Des gens de tous les âges, qu’il a réunis en binômes et qui se sont écrit au moins deux fois par mois sans se connaître physiquement.» Résultat? Riche: 800 lettres! «Quand j’ai découvert tout ça, j’ai dit: il faut absolument en faire quelque chose. Allons-y!» Quelques mois plus tard, voilà donc «Correspondances», miscellanées de ces missives mises en scène en un joyeux parcours urbain.
Diablotins hors de leur boîte
La balade démarre place Neuve, devant les grilles des Bastions. Ambiance estudiantine et bon enfant. Quelques crinières grises se mêlent au petit cortège. Il y a de la musique et un rayon de soleil. L’orage annoncé n’a pas mugi. Merci à lui. Première halte au pied d’une statue de Cupidon à l’entrée du parc. Du parterre de benoîtes aux pétales orange pétard jaillissent sept filles et garçons. Ces diablotins hors de leur boîte, ce sont des comédiens, professionnels ou apprentis. Commence alors une lecture polyphonique et ambulante, tour à tour rigolote, émouvante et poétique.
«Je vous écris cette lettre car le temps du confinement est revenu.» Telle est la formule qui démarre chacune des correspondances. Puis les confinés couchent sur papier leurs états d’âme, rêves et envies. La sinistre ombre du Covid plane évidemment sur cette prose. «Écrire, c’est un peu comme se parler sans masque», glisse l’un des épistoliers. Mais cette mosaïque de mots se montre étonnamment gaie et optimiste. Il y est question de recettes de cuisine, de petits oiseaux, d’encre colorée, de souvenirs de vacances, de chats, de chansons, de littérature ou de baignade dans le lac. C’est tendre et drôle, saugrenu et naïf à l’occasion, grave parfois. Et l’on soupèse à quel point l’exercice d’écriture a dû réconforter les rédacteurs cloîtrés.
Scénographie malicieuse
«Le deuxième confinement a été un moment vraiment particulier», raconte Aurélia Platon. «On savait déjà à quoi ça pouvait ressembler. On l’a attendu sans l’attendre. C’était une hantise devenue réalité. Et brusquement apparaissait l’horrible perspective d’une 3e, 4e ou 5e réclusion sanitaire. L’idée du spectacle, c’est d’aborder ce difficile moment de l’histoire récente sans lourdeur, avec légèreté et humour. D’où l’idée de jouer à l’extérieur. Quoi de mieux que le plein air estival quand on lit des textes sur un enfermement hivernal?»
«Tiens, j’ai oublié de rire ce matin.»
La dichotomie entre le cadre verdoyant et le propos opère en effet. Après quatre étapes dans le parc des Bastions malicieusement scénographiées, la procession des spectateurs et acteurs grimpe doucement vers Saint-Léger. «Ce qui est formidable, c’est le mélange des acteurs et du public», s’enthousiasme une dame mûre et pimpante en attaquant la rampe. «Ce n’est pas compassé. C’est accessible à tous. Moi, le théâtre en salle à la papa, eux sur scène, moi en bas, ça m’emme…»

Le périple s’achève à la Treille, pleine de mômes piailleurs. «Tiens, j’ai oublié de rire ce matin», note l’une des confinées. «Donnons-nous la main par nos pages écrites», lui répond son correspondant. Suit un long développement sur la délicatesse du marchand de sable qui, avec ses grosses paluches, doit déposer quelques grains sur les paupières enfantines pour qu’elles se ferment. C’est chou en diable. Et la troupe d’entonner «Le temps du muguet», chanson d’espoir et d’amour. La promenade était vraiment chouette. Un troisième confinement? Même pas peur. On s’écrira.
Il n’y a, pour l’heure, pas d’autres représentations prévues. Mais une partie des lettres, lues par des comédiennes, est audible toute la semaine dans la cabine n° 94 du Bain des Pâquis. Là, un QR code permet également d’accéder à une création musicale à partir des lettres.
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